Par Alice · Retour sur L'Étang de Gisèle Vienne au CDN de Besançon Franche-Comté en février 2023
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"Une grandiose heure et demie de force viscérale. On y ressent jusqu’au désir de choquer par le suicide, de se révolter, de tout cramer plutôt que de laisser cette tension telle qu’elle est."
Une boîte blanche indistincte, des mannequins cadavériques entassés dans un décor à la fois lisse et d’un inquiétant désordre, un fond techno rendu strident par l’immobilité. Ambiance de bad trip. L’Étang nous plante le décor avant d’introduire ses deux actrices et sa dizaine de personnages, dans un angoissant ralenti. Il est évident, dès le départ, que quelque chose d’affreux va se passer.
On peut ressortir de la salle avec une sensation de coup dans le ventre, ou de souffle coupé. Les terribles effets sonores et visuels traduisant la souffrance de Fritz, adolescent à vif (Adèle Haenel, hydre magistrale dans le rôle des enfants perdus) et de sa mère, sans nom, toute démarche fixe ou reptation malade (Henrietta Wallberg, irréelle dans le rôle des anti-parents) sont faits pour faire mal – plusieurs dans la salle se seront bouché les oreilles. Les deux actrices dialoguent à peine et peinent à s’apercevoir, le garçon et la mère sont tous les deux trop pris dans le tumulte pour se parler. Tout doit passer par le sensoriel, le corporel, et la prise de recul. C’est ce qu’entreprend Fritz en manquant de se suicider dans l’espoir d’un mot d’affection ; c’est ce qu’entreprend Gisèle Vienne, metteuse en scène, qui communique l’angoisse en alternant le multicolore et l’ultrablanc, le silencieux et le tonitruant, des poses à la lenteur inhumaine, et des auto-dialogues violents, convulsifs.
La mise en scène est difficile, opaque, et on peut éventuellement s’en retrouver rebuté si on ne se laisse pas happer dès le début. Fritz invente teste son malheur par un vrai-faux suicide, puis en raconte l’histoire : assistons-nous à du récit a posteriori, à un cauchemar traumatique, à l’idée décousue même que semblent être devenues les vies des personnages ? Le sentiment de confusion est constitutif du trouble nauséeux qui doit être transmis pour comprendre, faire comprendre ce que ça fait, quoi que ce soit. Adèle Haenel, nerfs et mâchoires serrées, en dit autant sur Fritz en multipliant les dialogues qu’en tordant son visage, en souffrant dans le micro. Toutes ces voix dispersées, on peut éventuellement regretter la difficulté à bien les identifier, ou alors on les éprouvera comme un tout, comme la voix d’une seule femme, ces spéculations d’adolescents prenant la charge d’un problème trop gros pour eux. L’Étang est soit obscur soit atrocement limpide, sans demi-mesure. Une grandiose heure et demie de force viscérale. On y ressent jusqu’au désir de choquer par le suicide, de se révolter, de tout cramer plutôt que de laisser cette tension telle qu’elle est.
Irait-on jusqu’à supposer un lien avec l’actualité de l’inattendu GREVE GENERALE RECONDUCTIBLE ! brandi après la bataille par Adèle Haenel, couverte d’ovations ? En détourner le regard, après une pièce pareille, serait bien trop ignoble.
· Par Alice, publié le 27 mars 2023 ·
Je pense donc je critique réunit les chroniques culturelles éditées par les étudiant·e·s participant·e·s de l'atelier d'écriture critique initié par le service science, arts et culture de l'Université de Franche-Comté, en partenariat avec Radio Campus Besançon et le Théâtre Universitaire de Franche-Comté. Chroniques à lire sur theatre-universitaire-fc.fr et à écouter sur campusbesancon.fr
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