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Je pense donc je critique · Le cœur au bord des lèvres de Dea Liane

Par Aude · Retour sur Le cœur au bord des lèvres de Dea Liane au CDN de Besançon Franche-Comté en février 2023



Photo Jean-Louis Fernandez


"Avec Ashmahan, c’est une époque faste du Proche-Orient qui est déterrée comme pour mieux être pleurée. Jaillie de l’au-delà, un visage, une chaleur, une odeur, nous laisse empreint de nostalgie"

Avez-vous déjà entendu parler d’Amal El Atrache ? Une chanteuse morte trop tôt pour avoir laissé une trace indélébile mais dont la présence, telle l’ombre d’une icône, arpente aujourd’hui encore les rues de Beyrouth.


C’est ce que se propose de raconter le spectacle “Le cœur au bord des lèvres” avec tendresse et musique, justement dosées pour que le spectateur reparte avec une petite idée, presque comme une caresse, de ce que pouvait être cette femme, élevée au rang de diva, notamment par le titre d’une récente exposition à l’Institut du Monde arabe : “Divas, d’Oum Khalsoum à Dalida”.


Le spectateur est balancé entre deux vies, deux époques, qui s’entremêlent : l’une, bien réelle de l’actrice et metteuse en scène Dea Liane qui a grandi entre Syrie et Liban à l’aube des années 90 ; l’autre, celle plus fantasmée d’une chanteuse audacieuse des années folles au Caire, Asmahan, de son nom de scène.


La représentation s’ouvre sur un nuage de fumée, comme pour invoquer sur scène la personne, ou plutôt le personnage, puisqu’il s’agit finalement d’un récit fictif avec de menues archives et témoignages. Ces derniers, quelques photos, accompagnées d’un ouvrage de l’autrice Lamia Zadé, font partie intégrante du décor qui se peaufine sous nos yeux. Des cadres qui s’accrochent sur un paravent aux motifs exotiques, une coiffeuse avec un khôl permettant l’ajout d’une touche ultime : cette petite mouche sur le menton si caractéristique à ce visage. Voici Dea Liane transformée, pour incarner, telle qu’elle l’a imaginée, la chanteuse avec qui elle partage le même âge et les mêmes origines.


La technique de la fausse interview est reprise par deux fois pour lui donner une voix, les échanges sont intégralement en langue arabe. Le caractère est plutôt téméraire, empreint d’un souffle de liberté comme il existait alors dans les rues du Caire, dont les nuits n’avaient rien à envier aux scènes et cabarets occidentaux.


Rose ou jasmin ? Jasmin bien sûr. Mer ou montagne ? Aucune, la montagne l’ennuie et l’eau, bien qu’elle y soit née, sa mère ayant accouchée sur le ferry qui la conduisait en Egypte, sera aussi le lieu de sa tragédie, morte, noyée dans le Nil. Des questions plus tranchantes, le bruit de la rumeur, matérialisé par le son d’un trombone, était-ce vrai qu’elle est une espionne de guerre ? peut-elle suffire la comparaison avec Oum Khalsoum ? combien de maris ? combien de tromperies ? C’est le lot commun des femmes, belles, autonomes, puissantes, libres. Puissantes parce-que belles ? Libres parce qu’à même d’accepter la souffrance.

Le voile noire qui recouvre son visage en début de spectacle tombe rapidement et laissera pour le final, place à une robe somptueuse et pailletée. Mais l’habit ne fait pas la voix, et les parties chantées le sont toutes à égale intensité. Elle a sû être innovante dans son rapport à la chanson et puiser son inspiration du côté de l’Europe.


Avec Ashmahan, c’est une époque faste du Proche-Orient qui est déterrée comme pour mieux être pleurée. Jaillie de l’au-delà, un visage, une chaleur, une odeur, nous laisse empreint de nostalgie, nostalgie partagée par l’actrice metteuse en scène, qui replonge elle-même dans son enfance sur un port de Beyrouth encore debout et vibrant. Une petite capsule de souvenirs, souvenirs largement rêvés, mais après tout, n’est-ce pas là le propre de la nostalgie ? Embellir une histoire pour que celle-ci traverse les âges et nous accompagne, pas à pas, rassurante, le long de notre propre chemin.


· Par Aude, publié le 27 mars 2023 ·




Je pense donc je critique réunit les chroniques culturelles éditées par les étudiant·e·s participant·e·s de l'atelier d'écriture critique initié par le service science, arts et culture de l'Université de Franche-Comté, en partenariat avec Radio Campus Besançon et le Théâtre Universitaire de Franche-Comté. Chroniques à lire sur theatre-universitaire-fc.fr et à écouter sur campusbesancon.fr


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